vendredi 21 décembre 2012

Revoyure (à la)

Pour cause de retraite littéraire au vert
(méritée ou pas, on s'en fiche)
Le Clavier Cannibale
passe en mode furtif jusqu'au
7 janvier 2013

Dans l'intervalle, nous vous invitons à vous y balader en toute quiétude pour y faire moisson d'idées de lecture. Quant à nous, nous emportons les ouvrages suivants: Edwin Abott, Flatland (Zone Sensible), Joseph Czapski, Proust contre la déchéance (Libretto), Emmanuelle Pireyre, Foire internationale (Les Petits Matins), Maurice Roche, Opéra Bouffe (Seuil), Mary-Laure Zoss, Entre chiens et loup jetés (Cheyne éditeur), Shane Jones, Light Boxes (Penguin), Ray Ocar, Techno (Writers Club Press), William H. Gass, Middle C. (sur iPad…) et Claude Simon, Les Géorgiques (Minuit).

Et comme la maison ne recule devant aucun sacrifice, nous vous laissons en compagnie de ce magnifique poème, idéal en ces fêtes de fin d'année…:

A quoi servirait-il de fuir ?
Partout on tue, on incarcère.
Le monde est lassé à mourir
De tant de haines et de guerres.

Et l’on a beau scruter le ciel,
Chercher derrière les nuages
Une lueur providentielle,
Rien que la nuit, que les orages.

Et l’on a beau vouloir parler
A cœur franc de ce qui nous hante.
La crainte nous serre le ventre,
Et personne n’ose parler.

Et l’on a beau vouloir crier
Qu’on a les pieds, les mains liés.
Comme personne ici ne crie,
On se tait par humilité. 


jeudi 20 décembre 2012

Fin du monde: ouvert même le dimanche

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On n'a suivi que très vaguement cette histoire de fin du monde, prévue de longue date par d'improbables abeilles, occupé qu'on était par d'autres fins liés à d'autres mondes, qu'on appelle livres, et qui, à la différence de ce marigot où nous vivons et qui n'existe pas, ou alors sous forme d'hallucination collective, n'en finissent pas de recommencer, telles des phrases devenues fugitives et affranchies de leur séculaire syntaxe pour étendre leurs rhizomes un peu partout dans la conscience, la chair, le temps. Que les mondes soient mortels, nul n'en doute, il suffit pour cela de se pencher au-dessus d'un puits, d'un verre, d'un œil, et de laisser fondre et pleurer le peu d'encouragement à vivre que nous a légué la postérité d'avant. Mais l'on respecte néanmoins cet immense besoin qu'ont certains à guetter, dans le jour gris et banal, les signes d'une soudaine sanction, comme si, à l'approche de ces fêtes ineptes où le dernier bûcher n'est plus qu'un âtre dans lequel se roule, roussi, hagard, un gros benêt tout de rouge vêtu, il n'y avait plus de place que pour l'élan superstitiel, le goût déjà suranné pour les joujoux létaux. Comme si, à l'heure de claquer ses économies dans de superfétatoires offrandes, à l'orée du sacro-saint potltatch, d'aucuns sentaient qu'une huitième et définitive plaie pourrait parapher non sans panache tout ce cirque calendriesque. Face à ce clownesque effroi, on se contentera de rappeler aux populations paniquées que les librairies seront ouvertes dimanche prochain et que les rares survivants de l'apocalypse sont invités à s'y rendre pour faire pénitence.

mercredi 19 décembre 2012

CosmoZ Clichy

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En février prochain, mon roman CosmoZ paraîtra en italien aux éditions Clichy. 
 Traduit par Antonella Conti (qui n'a pas dû rigoler tous les jours), et initialement prévu aux éditions Barbès, le livre sortira finalement aux éditions Clichy, la nouvelle structure éditoriale créée par Tommaso Gurrieri, un éditeur qui a visiblement un lien secret Paris…

Ça tombe bien, on cherchait justement une bonne raison de se mettre à l'italien… Musique !  

“Gli orologi sono conchiglie di molluschi recalcitranti: per sentire i rumori del mare, bisogna torturare di continuo il nautilo che esse ospitano. E come una popolazione di molluschi, quella composta da svariate migliaia di orologi esige cure intense, materne.”

jeudi 13 décembre 2012

Ptyx & Enig: mort au dodo!

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On vous a déjà parlé ici de Ptyx, cette excellente librairie belge sise à Bruxelles, dans la commune d'Ixelles. A-t-on assez insisté, en revanche, sur la haute tenue de son site, qui n'est pas une simple vitrine truffée de couvertures aux alléchants bandeaux, mais bel et bien l'équivalent d'un blog de lecteur où Emmanuel Requette, le patron des lieux, taille dans la masse des livres pour extraire de vraies lectures nécessaires, en dehors des sentiers battus et rebattus. Au menu des livres qu'il nous détaille, et nous donne furieuse envie de lire, on trouvera au cours des mois derniers: Farcissures, de François Tison (Allia), Jérôme, de Jean-Pierre Martinet (Finitude), Elégies, d'Anna Akhmatova (Harpo &), Un château en enfer, de Donald Eastlake (Passage du Nord-Oust), La voie du régrès, de Georg Petz (Absalon), Fantôme, de Sigismund Krzyzanowski (Verdier), etc.
Des livres dont vous entendrez peu parler, sauf si vous lisez régulièrement, par exemple, Le Matricule des Anges. Des livres que seul un libraire pour qui l'expression "fond" sert de remise en forme permanente, peut vous donner envie d'aller visiter. Des livres que semble arracher à la nuit la devise de la librairie: "Hommes, regardez-vous dans le papier" (Henri Michaux). Si vous êtes dans les parages de cette exceptionnelle caverne, ce soir, on vous conseille vivement d'y faire escale, car ce soir il y a :

Rencontre avec Nicolas Richard, traducteur, et Dominique Bordes, éditeur, à l’occasion de la sortie de Enig Marcheur de Russell Hoban chez Monsieur Toussaint Louverture. A partir de 18.30.

On n'y sera pas, hélas, mais on boira une Rochefort 10° en l'honneur de cette réjouissante clique. Santé, Emmanuel! Cheers, Nicolas! Sokapiip la-hoa, Dominique!

Gass frappe le bon do

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En anglais, l'expression "middle C" désigne "le do du milieu", ou "do médian", "do central" ou encore "do de la serrure"…, bref la touche blanche précédant deux noires qui se trouve au centre du clavier, autrement dit le quatrième do en partant de la gauche, bonjour octave, tink! et par ici la musique! C'est le pivot sonore à partir duquel peut débuter tout apprentissage du piano – sur un clavier d'ordinateur, ça serait cette ligne brisée imaginaire qui va, tel un éclair, de haut en bas et de gauche à droite entre les lettres t, g, b et y, h, n. Mais nous n'en sommes pas encore à établir des correspondances aussi osées. Retenons surtout une chose: ce "middle C" est également le titre d'un roman à paraître en mars 2013 aux Etats-Unis – Middle C – , et là notre cœur fait boum! puisqu'il s'agit ni plus ni moins du nouveau roman très attendu de l'immense William H. Gass, l'auteur du Tunnel, paru en traduction en 2007 chez Lot49 (et pour lequel avait été créée à l'origine la collection Lot49). On ne peut pas dire que Gass soit un auteur  prolixe pour ce qui est de la fiction: deux recueils de nouvelles, deux romans et une novella depuis 1966 – en revanche, une dizaine de recueils d'essais brillantissimes qu'il faudra bien un jour présenter, même partiellement, au lecteur français.
Mais revenons à Middle C, son dernier roman à paraître. Gass avait mis trente ans à accoucher du monstrueux Tunnel; cette fois-ci, il a pressé sa monture et passé seulement vingt ans à élaborer ce dense roman, qui raconte l'histoire d'une famille originaire de Graz – les Skizzen – qui ont fui l'Autriche avant la guerre pour se réfugier en Angleterre, le père se faisant passer pour Juif afin de justifier son départ. Lequel père va vite disparaître et l'on suivra alors le fils qui, devenu pianiste honorable, a décidé de fonder un Musée de l'Inhumanité…
Une fois de plus, on retrouve la prose incroyablement rythmique de Gass, ce sens de l'équilibre dans la syntaxe qu'il aime perturber tantôt avec hargne, tantôt avec subtilité. Infusée de pensée, tranchante mais jamais tranchée, la prose de Gass, sous couvert d'un classicisme musclé, emporte le lecteur dans le maelstrom d'une écriture parvenue à sa maturité jubilatoire. On lit en battant la mesure avec le pied:

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On ne s’habitue pas à Bessette. On ne l’apprivoise pas. Elle est dévoration, esquive, feu follet, ni Duras ni Stein, mais seule comme Artaud, mais autre, otage d’une langue qui réinvente la liberté en shuntant, au sens électrique, le courant syntaxique imposé par la frivole aventure romanesque. Chacun de ses livres met à mal l’histoire littéraire, anticipant des ruptures qu’on croyait acquises, innovant en marge et à la barbe des bateleurs et bricoleurs à peine naissants. Elle est, dès les années cinquante, la folle dans le grenier narratif, la souris dans le moulin à parlotte, celle qui pense en actes les noces un peu chiennes du récit et du poétique. Peu lue, peu commentée, à peine soutenue, elle fait de sa singularité un avant-poste à occuper par ceux qui viendront, qu’ils l’aient ou non découverte, et là n’est pas la moindre ironie de sa fortune contrariée.
Non que Bessette ait fait le deuil définitif des galons narratifs et cherche à s’avancer en haillons, hors tout uniforme, toute convention. Elle attache une extrême importance à confectionner des héroïnes, quand bien leur étoffe a déjà les reflets du linceul. Femmes en procédure d’isolement, tentées déçues par la copule, le conjugal, femmes au travail, ni fille ni mère ni épouse, ou les trois mais si peu, si mal, femmes prise dans les concupiscences des hommes, et sans cesse éblouies par l’idée de la sortie, de la fuite. Des héroïnes, donc, à jamais teintées de folie nervalienne et de fatalisme flaubertien, dont le cœur ne consent à battre qu’au prix d’un dérèglement de la grammaire – la grammaire : la grande affaire de Bessette, son paradis et son charnier.
Puisqu’en elle tout est décalée, froissée, et que coïncider avec le monde n’est plus de mise, il faut que la langue suive, et à son tour décale, froisse, non par un dépliement insensé, comme l’a fait Proust, non par un feuilletage savant, comme s’y ingénia Joyce, mais par une musique autre, plus proche véritablement de ce que devient, de ce qu’est devenue la nouvelle communication, celle qui feint de relier les êtres par des conversations téléphoniques où se réinvente l’interruption du message, des télégrammes rétifs à la conjugaison, des slogans avares de verbes, des petites annonces renonçant aux articles et pronoms. Toutes choses déjà pressenties et expérimentées par Apollinaire, Breton et consorts, mais dans la sphère du poétique, hors le champ méprisé du roman. Bessette la folle en reprend la leçon, sa raison, dans Si, insensée variation autour du désistement de soi :
Dire que la langue de Bessette est d’essence électrique n’est pas verser dans la métaphore, figure de style que par ailleurs elle évite comme l’eau de rose ou le bon mot. Electrique est ici à prendre au sens d’alternatif. La phrase est une cadence réduite bien souvent à ses pôles, à une danse entre négatif et positif – courts-circuits bienvenus, of course. On se croit encore dans le théâtre, le vaudeville, avec ses portes claquées et ses apartés audibles de tous, on est déjà dans le cinématographique, la succession des photogrammes, le dialogue noir et blanc. Le verbe, Bessette le by-pass, littéralement – mais pas systématiquement –, non parce qu’il serait le toton bourgeois par excellence, que n’importe quelle ficelle habilement tirée fait tourner en guise de turbine, mais parce qu’elle préfère l’injecter ailleurs, sous une autre forme, à une autre intensité, en concorde mystérieuse avec un souffle qu’elle sait moduler, qui est le souffle Bessette, à la fois élan et affre, suffocation et variation.
En revanche, quand Bessette veut parler le verbe, le faire parler, elle n’y va pas par quatre chemins, elle décline, étiquette, liste, et ce afin d’extraire au plus vite le verbe écharde qui est, dans Si, la trappe par où peut-être passer, le sujet objectivé du livre :
Naître. Vivre. Mourir.
Quel assemblage. Langage des verbes.
Vivre. Dormir. Mourir.
C’est déjà mieux.
Vivre s’éveiller manger aimer dormir mourir.
La liste s’allonge des conjugaisons vitales.
Se lever travailler se coucher.
Pour dormir.
Pour vivre.
Pour mourir.
C’est monotone. Ça manque de diversion.
Venir partir retourner paraître disparaître être exister s’anéantir s’évanouir.
Liste noire. Au panier. A la corbeille. Effacer. Gommer.
C’est déjà plus accessible.
L’exercice de conjugaison est terminé.
Mais pourquoi avait-il commencé ?
Sans pourquoi.

Tout. Tous les verbes.
Mais pas : mourir.

Nous voilà de plain-pied dans ce Si, qui est à la fois condition, chiffre amputé (un six réduit à un son, bientôt motif comptable), instrument servant à l’amputation (scie appliquée aux mots, aux êtres), simple syllabe suspendue, arrachée au cœur du nom de l’héroïne : Désira.  Prénom étrange, mais guère plus obscur dans sa tenue et sa vérité que l’Emma de Flaubert, prénom piégé par le passé du verbe qu’il incarne, récit à lui tout seul qu’un a féminise in extremis. Que veut Désira ? Certainement pas revenir à la vie pour parler aux épiciers, ces nouveaux Homais. Juste s’en aller « hors et loin de l’imbroglio infâme du réel ». Commettre le « crime parfait » : se suicider – et non-vivre enfin parmi les « squelettes au rire solide ».
La question du suicide, posée par l’héroïne à elle-même, est la matrice malmenée de Si. Désira veut mener à bien cette « conversation sur le point final », preuve s’il en était besoin que le meurtre qu’elle envisage a autant à avoir avec la chair qu’avec le verbe. Lasse d’être réduite à l’attribut d’un sexe qui serait substance et identité, rétive aux compagnies les mieux attentionnées, prise dans l’étau des « joies froides » et des « joies chaudes », Désira va de colère en colère, comme autant de cases sur un jeu de l’oie qui finira cou coupé, se laisse courtiser par toute une théorie de « Marchands », résistant succombant, prêt à quelques derniers tours sur un manège de moins en moins forain, de plus en plus détraqué, cruel.
Elle essaie des remèdes – l’autre, la littérature de poche, le ciné… –, mais tout conspire à l’infantiliser, à l’objectiver, à la reconduire dans la petite boutique de la vie. « Dois-je me suicider ? » se demande-t-elle. Nous demande-t-elle ? Oscillant entre entêtement à dire et aspiration à ne plus être, sentant se rapprocher « l’heure du gardénal et du champagne », Désira, héroïne irascible et rebelle, jugée femelle et supposée putain (« Je ne suis qu’une femme. Ne que. »), entame une longue et curieuse excursion aux confins de la pulsion de mort. Mais peut-on mourir entre les pages d’un livre ? C’est finalement à cette question qu’Hélène Bessette s’efforce de répondre, et pour ce faire elle finit par déclencher des tourbillons, brouiller des pistes et concevoir des plans d’évasion qui sont les ressorts mêmes de la langue, de sa langue.
Si : non plus l’énoncé d’une condition mais la force d’une affirmation. Non. Si. Si. Non. Il n’est pas dit qu’il faille choisir puisque « toutes les histoires sont à dormir debout ». Madame rêve.
__________
Postface à Si, d'Hélène Bessette, éd. Laureli

mercredi 28 novembre 2012

Le cas Chevillard: Beigbeder tire son coût

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Ça commence à se savoir: Beigbeder, l'immortel auteur de L'égoïste romantique, désespère de Chevillard. Il l'avait dit précédemment dans un article intitulé "Démolir Nisard" (avec un "l" ou "ll" selon l'humeur des protes…), il a remis ça hier, dans le même journal, avec un élégant "Halte au chou-fleur", article censé être une critique du dernier livre paru d'Eric Chevillard, L'auteur et moi. Hélas, de critique, le lecteur n'en trouvera point dans les 2431 signes écrits par l'immortel auteur de 14,99 euros, euh, pardon, de 99 francs. Il trouvera en revanche 1 112 signes où Beigbeder, l'immortel auteur de Au secours pardon (atchoum!) évoque son précédent article (il faut dire que Chevillard y fait allusion dans son nouveau livre), 808 signes dans lesquels est résumée l'intrigue du livre, accompagnée d'un ersatz étique de littérature comparée (histoire de citer Sagan et Coetzee…) et d'une proposition de titres alternatifs. Restent 511 signes pour conclure, ce dont ne se prive pas l'immortel auteur de L'amour dure trois ans (autrement dit 1 095 jours – décidément, Frédéric aime mettre des chiffres dans ses titres, à moins que ça ne soit le contraire). Voici donc ces 511 signes (oui, nous aussi nous savons parler chiffres, non mais!):
Chevillard épuise son grand talent à relever les défis qu'il se lance à lui-même. C'est dommage car il est bien meilleur quand il se dévoile, par exemple quand il évoque la mort de son père avec une émotion contenue, ou quand il déplore l'état de ses ventes dans son blog "L'Autofictif". L'explication de son insuccès est pourtant simple: le public n'a plus goût pour les expériences. Il rit en lisant ses articles, mais ne finit pas ses romans. Et c'est ainsi qu'Eric Chevillard est un grand écrivain gâché.
Bon, Chevillard a déjà répondu dans son blog à cette histoire édifiante de gâchis en qualifiant Beigbeder de "médiocre écrivain triomphant", et l'on s'en voudrait de revenir à la charge, de rajouter une louchée de chou-fleur sur la frémissante et fragile truite, mais enfin, le propos de l'immortel auteur de Vacances dans le coma (mais pourquoi les a-t-il abrégées, grands dieux!) est assez époustouflant. Pas seulement parce qu'il pense que le "dévoilement" et "l'émotion contenue" l'emporteront toujours en qualité sur les "défis" littéraires – on avait bien compris, à lire Beigbeder, qu'une giclée de biographoutre pèserait toujours plus lourd qu'un kilo d'expérimentade. Non, s'il est époustouflant (d'arrogance ou de cuistrerie, on ne sait) c'est surtout en raison de cette déclaration, qui sans doute provient d'une longue étude du lectorat français assaisonné d'une fière conviction personnelle: "Le public n'a plus goût pour les expériences." A première vue, ça ressemble à un sophisme. Les expériences intéressent forcément moins de monde, or le public c'est tout le monde, ergo le public se fout pas mal des expériences. Là, on a envie de dire: Frédéric, tu sais quoi? Chevillard n'écrit pas pour "le public". D'abord parce que je suppose qu'il considère ceux qui le lisent comme des "lecteurs", et non comme ces spectateurs de show télévisé auxquels semble faire allusion cet étrange mot de "public", s'agissant de littérature. Ensuite parce que ce sont ses livres qui créent des lecteurs. Mais bon, n'embêtons pas l'immortel auteur d'Un roman français (en anglais, c'est encore plus beau: A french novel) avec ces vaines arguties.
Non, laissons-le à ses activités journalistiques – au moins, pendant qu'il pond des articles, il n'écrit pas de livres (quoique…). Ce qui est en fait intéressant, dans sa phrase stupidissime, c'est ce "plus". "Le public n'a plus goût pour les expériences". Intéressant. Donc, à une époque antérieure, le public avait encore "goût" à ces billevesées? Que s'est-il passé? S'en est-il dégoûté tout seul? L'en a-t-on dégoûté? Qui l'en a dégoûté? Y reprendra-t-il goût? On ne sait pas. On sait seulement que, par exemple, La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski (qu'a apprécié Beigbeder, par ailleurs, mais Beigbeder n'est pas le public, on l'espère), un livre qui côté "expérience" se pose un peu là, s'est vendu à plus de vingt mille exemplaires en France. Ce désintérêt doit donc être assez récent. Le perte du goût est quand même un phénomène assez grave pour qu'on s'en préoccupe. On attend toujours la parution de la thèse de Beigbdeder, Considérations littéraires et philosophiques sur la désaffectation de l'expérience par le public, assortis d'exemples tirés de Bécassine se regarde dans un miroir.
Mais il y a mieux (ou pire). Car l'immortel auteur de Windows on the World (en anglais c'est encore plus beau: Windows on the World) utilise le mot "expériences", et non celui d'"expérimentation" ou même de"fiction expérimentale". Comme si le seuil de tolérance à l'égard de ce qui, qu'on le veuille ou non, définit l'essence même de la fiction, de l'écriture – renouveler ou inventer des formes, donc expérimenter – avait baissé d'un cran, et que le mot "expérimental" n'était même plus prononçable, à tel point que celui d'"expériences" suffit à lui seul à désigner ce truc dégoûtant qu'il n'est pas besoin d'expliquer pour savoir de quoi on parle.
Bref, on en serait presque à s'offusquer des propos de Beigbeder, quand soudain, bon sang mais c'est bien sûr, on se rappelle !  Oui, on se rappelle qu'il a fondé le Prix de Flore en 1994, en préside le jury, a également créé le Prix Sade, a siégé dans le jury du Prix Décembre, est membre du jury du Prix Renaudot, ainsi que du jury du prix Françoise-Sagan et du jury du prix Saint-Germain ! Pourquoi n'y a-t-on pas pensé plus tôt! Le prix, pas l'expérience! Le coût contre le goût! Mais ça saute aux yeux! C'est clair comme de l'eau de roche! Un bon coût vaut mieux qu'un goût rare ! Décidément, nous montons trop vite sur nos grands chevaux. Nous nous emballons trop vite, ça doit être la proximité de Noël. Il nous suffisait de lire la notice biographique de Beigbder sur Wikipedia… Mais non. Nous gambergeons, nous nous inquiétons, nous nous formalisons – au lieu d'additionner deux et deux font au moins cinq avec l'inflation je te rendrai la monnaie plus tard. Ah, si au moins nous savions lire autre chose que des livres…


Un rien de Jardin

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Que penser du fait qu'Alexandre Jardin, à la fin de son dernier livre paru chez Grasset, Joyeux Noël (et qui pourtant porte la mention "roman" en couverture…), fasse figurer non seulement sa déclaration d'impôts mais également une photo de lui, et ce dans le plus simple appareil ? Qu'en penser? La réponse est assez simple, puisque ledit fait ne requiert nullement qu'on recourt au mécanisme de la pensée: rien. D'autant plus que l'auteur, dans un entretien à Paris-Match, s'est expliqué sur la chose:
Paris Match: A la fin de votre roman, vous publiez votre feuille d’impôts et vous posez entièrement nu !
Alexandre Jardin: J’en ai ras le bol du off. Je ne voulais pas que les gens pensent que j’avais écrit une fable ou un conte farfelu. Pour qu’on croie à mon histoire, il fallait que j’y aille, j’y suis allé.
La méthode, simplissime, devrait créer un précédent. Je propose donc que les auteurs qui souhaiteraient désormais être loués pour leur imaginaire posent, en fin d'ouvrage, tout habillés, avec à la main une facture rédigée dans une langue inventée. Ça me paraît la moindre des choses, maintenant qu'on sait que la mention "roman" peut être démentie à tout moment par des preuves indubitables.
Il existe bien sûr une autre explication, farfelue certes, mais nettement plus rassurante, à cette  surprenante innovation dans le domaine fictionnel : Alexandre Jardin a fait don de son cerveau, ante mortem, à la zoopathologie.

Paris perdu: leurres divers

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"La réalité, c''est ce qui continue d'exister lorsqu'on a cessé d'y croire." Difficile de trouver meilleur exergue au livre de Xavier Boissel, Paris est un leurre, que cette phrase de Philip K. Dick. En l'occurrence, cette réalité qui continue d'exister malgré tout, c'est "Paris", mais pas le Paris aseptisé d'aujourd'hui, pas ce gros escargot vieillot en passe de devenir l'épicerie de luxe des über-bobos de demain, non, mais plutôt cet ersatz invisible d'une ville fantôme que l'Etat-Major français tenta d'inventer et failli réaliser, lumières et camouflages aidant, au nord-est de la Capitale, en 1917, afin d'éviter à la ville-lumière des pluies de bombes.
Pas d'art de la guerre sans falsification. Les Zeppelins, puis les Gothas allemands menacent monuments et boulevards. Il faut donc "divertir" l'ennemi, lui faire croire, à grand renfort de pyrotechnie et de faux-semblant, que Paris est ailleurs, afin qu'il pilonne un rêve et non une réalité. Xavier Boissel, dans la lignée de Virilio, Boorstin, Bégout, Mike Davis, aidé en cela par les mânes de Benjamin et Debord, enquête donc sur ce projet d'un faux Paris destiné à leurrer l'ennemi. S'appuyant sur de rares mais fascinants documents, l'auteur ne se contente pas de partir en repérage sur les lieux où faillit s'échafauder ce gigantesque trompe-l'œil, et se livre à une analyse transversale passionnante de l'art du camouflage et la duperie architecturale. Certes, il se rend sur les lieux, et parvient même à insuffler à son récit un étrange suspense, alors même qu'il a prévenu le lecteur que, de vestiges, on n'en trouverait point. Car ce qu'il cherche, ce n'est pas une relique oubliée qui témoignerait de ce faramineux projet, mais bien la trace absente, l'écho du leurre dans la zone en friche, où d'autres couches mnésiques se sont entre-temps déposées, étouffées les unes les autres.
Après un chapitre saisissant sur la "guerre du faux", qui opère une synthèse claire et éloquente des effets mis en œuvre, à tous les niveaux, pour créer de "nouveaux objectifs" censés leurrer la frappe ennemie, l'auteur élabore une théorie, qui fonctionne autant comme une métaphore que comme un conte, et fait remonter ce fantasme de diversion à l''éclairage de la tour Eiffel par un personnage incroyable: Fernand Jacopozzi. En habillant la structure nue du derrick honni, Jacopozzi, ingénieur d'ombres et de lumières, devient non seulement le grand illuminateur de la Capitale mais également son magicien occulte, son promoteur nocturne. C'est à lui qu'on s'adressera donc pour imaginer le faux Paris réservé aux bombardiers allemands. Un parcours étonnant, et ô combien révélateur. Des guirlandes célébrant Citroën à la fausse gare de l'Est… Et Boissel de rappeler les liens entre magie et camouflage (comme par exemple avec l'extraordinaire équipe mise au point pendant la Seconde guerre par l'illusionniste anglais Maskelyne, qui dupliqua Alexandrie et le Canal à coups de projos et de bâches peintes…).
La démarche de Xavier Boissel est un petit miracle de perspicacité et d'analyse, sous-tendu par une sincère et sensible appréhension des "lieux", de leur mémoire. Sa réflexion sur le vrai et le faux ne s'abîme jamais dans une rhétorique vaine, identifiée qu'elle est par une écriture de la mise en perspective qui tient compte des affects et de la perception:
Quand bien même il n'y aurait plus que du réel qui aurait intégralement absorbé du faux, l'attention à des phénomènes microscopiques, certes d'une banalité contristante, peut ouvrir la voie non seulement à une compréhension d'autres phénomènes, plus amples, mais encore à une forme de "sauvetage" de ce monde falsifié. Faire pièce à cette falsification, recueillir ses éléments avant même qu'ils ne s'agrègent, ne se figent, c'est retourner notre regard sur l'unité secrète qui la gouverne. Toute collection est une récollection. Notre divagation ne dit rien de la totalité de la vie, mais les fragments ternis qu'elle en aura retenus, ceux qui adviennent à notre conscience, il aura fallu les circonscrire, les nommer, adossé à leur immédiateté factice, en dissidence intime. Feuilleter les irrégularités du monde, les regarder à la loupe, en mettant au jour ses déchets, aura fait de nous plus des chiffonniers que des flâneurs: maintes fois nous avons eu le sentiment de rendre justice aux guenilles, maintes fois nous avons eu le sentiment que notre œil corrodait la substance des choses, les révélant dans leur nudité.
Cet appel à une archéologie de l'ineffable, on espère qu'il sera entendu, prolongé. Si, comme le disait, Georges Perec, "l'espace est un doute", alors le livre de Xavier Boissel l'arpente avec une grâce et une pertinence qui en dévoile plus que les pans.
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Xavier Boissel, Paris est un leurre, la véritable histoire du faux Paris, avec des photos de Didier Vivien et une cartographie établie par Gaspard Vivien, éd. Inculte, 13€90

mardi 27 novembre 2012

L'Inde des possibles : Tavares par Nédellec

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« Les limites, les pièges, les impossibilités me sont indispensables, je pars chaque jour à leur rencontre. » 
Cette phrase du funambule Philippe Petit, extraite de son livre Magicien de Haut Vol, est reprise par Dominique Nédellec dans le passionnant texte qu'il consacre à sa traduction du Voyage en Inde de Gonçalo M. Tavares, texte drôle, léger, humble, pullulant d'exemples exquis (même quand il parle de rats immondes) qu'on peut lire dans la nouvelle version – née hier – du blog de Pierre Assouline, La République des Livres.
On est évidemment plus que sensible à cette précieuse notion: l'indispensabilité des impossibilités. Nédellec s'arrête sur des exemples précis, dévoilant les hésitations ressenties, les choix accomplis en prenant soin, tout de même, de préciser:
Nota : ici, l’action est vue au ralenti et en plan serré, mais il va de soi que tout traducteur fait ça cinquante fois par page, intuitivement, au grand galop et sans descendre de son cheval toutes les deux secondes.
Cette intuition est cruciale. Elle est le produit de deux forces: d'abord d'un compagnonnage têtu, méfiant et amoureux avec la langue, puis d'une écoute tranquillement hystérique du livre qu'on traduit. Un instinct né de deux pratiques, donc, l'une générale et l'autre particulière, mais toutes deux ancrées dans la réalité des textes, dans l'entonnoir de l'oreille interne. Savoir retrouver une citation de Rimbaud est tout un art, mais le fait est que c'est le vers de Rimbaud qui vous retrouve, en fait, lui qui sait, à quelques années d'écart, sonner encore différemment. Le traducteur (comme le lecteur) entend ainsi des voix dans la voix, sent quand il y a feuilletage. Et doit parfois procéder à de faramineuses voltes. Comment va-t-on de "uma investida erecta" à "assaut sabre au clair" (le passage en fera frémir plus d'un)? Nédellec s'explique, déroule la chaîne des relais par lesquels il passe, procédant à d'intuitifs décalages. Il investit les champs sémantiques à la façon d'un étourneau, gobant ici et là quelques sens et sons en suspension, puis le voilà prêt à faire son nid avec une matière recomposée. L'opération peut être preste ou lente, qu'importe. Elle est menée au fil de ce rasoir qui permet de trancher sans qu'il y ait perte de fluide vital:
Voilà comment, pour traduire deux mots, on aura consulté un dictionnaire français en ligne, trois unilingues portugais (un du XIXème, deux du XXème siècle), un bilingue plutôt loyal, deux manuels d’argot chinés dans une vie antérieure et une monographie illustrée sur la tauromachie équestre portugaise. Il n’en reste pas moins que l’outil le plus précieux et le plus personnel du traducteur est sans doute ce que Michel Bréal nomme le « dictionnaire latent », niché on ne sait trop où dans la cervelle.
Et Nédellec de citer, outre Bréal: Michon, Larbaud,  Derrida, Erri de Luca. Il reprend d'ailleurs à Michon l'expression de "blibliothèque neuronale" – on ne dira jamais assez combien il est important que le traducteur accumule, stocke, empile, même en bazar, des pans et des strates de langage. Le moment voulu, il plongera sa carotte dans les sédiments et retrouvera bien le minerai original ou la qualité de glaise nécessaire à une durable poterie.
Lire Tavares en français, c'est donc passer par l'ombre portée de Nédellec, qui parle humblement de "trouvailles" alors que son travail, bien sûr, est plus profond et plus attentif qu'une simple démarche de dénicheur. Il nous dit à un moment que le traducteur se doit d'être "mélomane et athlétique". Il aurait pu ajouter "discret", mais il l'est sans doute trop pour avoir l'outrecuidance de s'en vanter.



lundi 26 novembre 2012

Saint Mallo et l'arbre aux souliers

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De quoi sont composés les rêves? On pourrait avancer la réponse suivante:  de sucres (~55,2 %), d'huile végétale (huile de palme ~17,3 %), de noisettes (13 %), de cacao maigre en poudre (7,4 %), de lait écrémé en poudre (6,6%), de lactosérum (petit lait ~0,8 %), d'émulsifiant : lécithine de soja (~0,3 à 0,7 %), et d'arôme. Il semblerait donc que l'onirisme soit à base de Nutella, une aberration moins littérale qu'il n'y paraît, comme on pourra s'en rendre compte à la lecture de Nocilla Dream ("rêve Nutella"), roman signé Agustín Fernández Mallo, et première louchée d'une trilogie espagnole dont on espère lire bientôt les deux autres volets.
Mallo appartient à ce qu'on appelle la génération Nutella. Dis comme ça, ça fait un peu potache. Rattachons plutôt Mallo à ses pairs – Rodrigo Fresán, Juan Fransisco Ferré, Santiago Gamboa, Eloy Fernandez Porta, Robert Juan-Cantavella, Jorge Carrión et Javier Calvo, pour n'en citer que quelques-uns. On parle aussi de mouvement after-pop. Hop. Certains sont traduits, d'autres non. Mais le point qu'on puisse dire c'est que le roman expérimental espagnol se porte bien. Je dis expérimental, parce que sont là des livres chimiquement instables, qui s'intéressent davantage aux explosions qu'aux solutions, même s'ils sont tous particuliers. Mais bon, si vous avez un tant soit peu lu Fresán – par exemple, Mantra –, vous m'aurez compris. Et sinon, eh bien lisez Mantra ou Nocilla Dream, et vous comprendrez vite. Vite, parce que sont des livres qui travaillent les vitesses, les intensités, les raccourcis et les rallongis [sic]. Décomplexés face au narratif, amis de l'informatif détourné, avec, pour Mallo, ce petit côté Short Cuts ou Magnolia qui est une des ripostes possibles de la littérature face au chaos normalisé. Mais qui dit Nutella ne dit pas gloubi boulga. On s'en convaincra aisément et joyeusement en lisant Nocilla Dream, qui vient de paraître aux éditions Allia, traduit par Gabrielle Lécrivain – la première édition en espagnol date de 2006.
Le livre est composé de 113 chapitres, mais il n'est pas sûr que ce soient des chapitres. Peut-être sont-ils à l'image de ces chaussures suspendues à cet arbre en bordure de la route US50, dans le Nevada, arbre qui est comme l'anti-Yggdrasil du roman, et autour duquel tournent nombre de récits, des récits qui parfois se croisent, parfois s'évitent. Mais le roman ne procède pas uniquement par concaténation de micro-récits. Tantôt l'auteur s'adresse au lecteur, tantôt il dispense de pures informations, allant jusqu'à se contenter de citer un auteur, une source. On touche alors à une esthétique du collage. Thomas Bernhard s'arroge ainsi un chapitre entier. Il y a aussi des données chiffrées ("constantes physiques d'intérêt, p.88), un poème au contenu invisible, une géographie des utopies, un détecteur de neutrinos, une prostituée au grand cœur, Pat Garrett et Billy le Kid, un Mexicain asphyxié par des haricots, etc.
En fait, plutôt que de parler de Nutella, il faudrait parler de Meccano. Et l'on serait tenté, à première lecture, de trouver l'entreprise littéraire de Molla "mécanique", ce qui nous conduirait à dire d'elle qu'elle ressort du procédé. Mais le procédé n'est-il pas plutôt du côté de tous ces romans pavillonnaires (ou faussement nomades) qui nous parlent d'un écrivain en panne d'inspiration qui rencontre une jolie jeune fille ou d'un trentenaire ayant du mal à faire le point sur sa vie et sur l'Europe? Molla dispose ses segments avec une rare intelligence, ce qui leur confère un champ vibratoire certain. Des échos, des reflets, des correspondances naissent au fil de la lecture. Le livre se construit par le milieu, au lieu de pousser comme un gentil poireau narratif. Il raconte, en quelque sorte, sa complexe prolifération, et finit au bout du compte par rendre compte du réel sans cesse diffracté en induisant des liens tour à tour symboliques, érotiques, scientifiques, etc. Il s'interroge, non sans malice, sur les principes d'autonomie (des sociétés, comme par exemple avec les micronations, mais aussi des modules narratifs eux-mêmes). Comment fonctionne un livre? Produit-il son propre carburant? Son impulsion vient-elle de l'extérieur?
Nocilla Dream est moins un roman expérimental qu'un roman appelant une lecture expérimentale, c'est-à-dire instable, sans cesse mobile, et gaie, et légère, mais aussi tendue, tenace. Il s'empare du réel comme d'une fiction et lui ajoute des plis. Est-il chaotique? Juste malin? Teinté de désespoir? Trublionesque? Potache? Vibratile ? Musical? Un peu de tout ça, sûrement. Au lecteur d'établir un pont entre, par exemple, ces quelques segments:
"Tout le monde sait qu'écrire, c'est être mort. Seule la mort passe la vie au crible et permet, à cette distance, de la réécrire. C'est pourquoi l'auteur ne fait que raconter le monde des vivants depuis le monde des morts."
et
"Il prend la guitare, cloue à nouveau son regard au fil de l'horizon et, pour s'amuser, commence à jouer les accords de K 2000."
et
"Il prétend recueillir tous les sons qui, dans cet appartement totalement isolé de l'extérieur, ne parviennent jamais à se faire entendre: le vol d'un oiseau au ras de la fenêtre, le passage d'un hélicoptère, le sifflement d'un laveur de carreaux ou du vent, de même que les bruits imperceptibles des canalisations, les vibrations de la structure, l'oscillation des antennes, les chasses d'eau des 100 appartements alentour, le zonzonnement parasite qu'émettent les câbles électriques, la giration des roues des voitures dans le parking souterrain, le ring des caisses enregistreuses des boutiques des étages du bas, etc."
L'avantage de la superposition – qui en physique est un principe se définissant ainsi: "si un nombre donné d'influences indépendantes agissent sur un système, l'influence qui en résulte est la somme des influences individuelles agissant séparément" (p. 143) – l'avantage de la superposition, donc, c'est qu'elle procède par plans, donc par pensées de formes, et non simplement par lignes, points et raccords. Dans Nocilla Dream, on ne vas donc pas d'un point à un autre, ce qui somme toute est une bonne nouvelle. On ne risque pas de rencontrer d'écrivains en mal d'inspiration, inventés par des écrivains dénués d'inspiration.
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Agustín Fernández Mallo, Nocilla Dream, traduit de l'espagnol par Gabrielle Lécrivain, éditions Allia, 9€20